Aujourd’hui, je vous propose de nous intéresser à l’excellent site Comics Oddities avec une interview de Sébastien, son créateur.
La blogosphère comics est un monde extrêmement varié, avec des sites qui sortent de l’ordinaire en abordant des sujets dont ne parlent pas forcément les autres. Comics Oddities fait partie de ces sites dont la lecture est particulièrement intéressante, où nous pouvons notamment retrouver des analyses poussées de comics qui mettent également en lumière leur contexte éditorial.
Je vous propose donc aujourd’hui de laisser Sébastien – alias Winnetouch sur le forum Wax Express – nous parler de son travail au travers de l’interview qu’il a eu la gentillesse de m’accorder.
Bonjour Sébastien, peux-tu te présenter pour les lecteurs de Watchtower Comics ?
Bonjour Franck et merci pour cet entretien. Succinctement, ce qui est un challenge pour moi 😀 , j’ai 41 ans, je viens de la Côte d’Azur, licencié en Histoire et je travaille depuis peu aux Ressources Humaines de l’Université où j’ai effectué mes études.
Côté geek, je suis un produit classique de la fin des années 70-80 qui a donc connu les 1ers anime japonais, les 1 er jeux videos, l’arrivée de l’internet. Ce mélange d’historien et de geek old-school préfigurait sûrement l’orientation rétro du blog.
Depuis quand lis-tu des comics ?
A vu de nez ça doit se situer autour de 1982-83. Comme beaucoup de gens de ma génération, je suis venu aux comics grâce aux dessins animés de Spider-Man et des Fantastic Four alors rediffusés dans l’émission Croq’ Vacances. Il y a aussi eu l’influence de Star Wars dont je fus un fan obsessionnel durant mon enfance.
Bref, un jour je suis au kiosque avec mes parents et je reconnais ces figures du grand et du petit écran sur de drôles de magazines colorés. Ma mère m’en achète un et ce fut bien vite un engrenage qu’elle continue de regretter vu la place que prit ma collection chez mes parents haha. Tellement avide de pouvoir comprendre ce qu’il se passait dans ces bandes-dessinées, j’ai commencé à apprendre à lire quelques mois avant l’entrée au CP.
On rappellera aux jeunes lecteurs le problème que ces magazines posaient aux tenanciers de kiosques qui ne savaient pas trop où les classer sur leurs présentoirs. Il est ainsi arrivé quelques fois que je reparte avec des bandes-dessinées qui n’étaient pas de mon âge ou bien que je doive demander à quelqu’un de grimper me prendre mon Strange, oui, celui qui est là juste à côté du magazine avec la dame qui a les doudounes à l’air et des oreilles de lapins 😀
Quels sont tes séries et auteurs préférés ?
Arf ! Sachant que mon rapport aux comics a évolué avec le temps et que je suis moins attaché aux personnages qu’auparavant, ce sont plus les auteurs qui guident mes choix. Dans ma jeunesse mes séries préférées étaient Daredevil, Hulk et les X-Men mais de nos jours ce serait plus des séries menées de bout en bout par leur auteur comme la Doom Patrol ou les Invisibles de Morrison, Sandman, Deadly Class, Saga… Quoique… si je devais choisir vraiment en choisir une, il y a une série qui est restée au-dessus de la moyenne pendant très longtemps quel que soit l’auteur : Hellblazer.
Niveau auteurs, il n’est un secret pour personne que je suis un fan hardcore de Grant Morrison chez qui je trouve matière à analyser même sur ses travaux les plus faibles. Mis à part le divin chauve, je me jette les yeux fermés sur toute production de Frank Miller, de Jack Kirby, de Steve Ditko, d’Howard Chaykin, d’Alan Moore, de Peter Milligan, de Wally Wood, des membres du Studio ou de Walt Simonson. Il y a aussi des runs qui voient la conjonction s’établir idéalement entre un personnage, un sujet, un auteur et l’époque : Mark Waid sur Flash, Chris Claremont sur les X-Men…
Comment t’est venue l’envie de créer ton site ?
Comme tu le sais, puisque l’on se connait depuis un petit moment déjà, j’ai d’abord commencé à écrire quelques articles sur un certain forum bleu. Je n’avais pas de véritable envie de créer un site à l’origine mais comme l’on fait remarqué des membres du forum et de mon entourage, tout ce que j’avais écrit jusque là pouvait très bien disparaître du jour au lendemain si le forum fermait. En conséquence, la volonté première était de faire un archivage de ce que j’avais déjà écrit afin de ne pas être dépendant d’autrui.
Et comme il aurait été idiot de ne proposer que du vieux matériel, j’ai décidé de continuer mes écrits directement sur le site. Et même si mon rythme de production est plus lent qu’auparavant, je continue à écrire de nouveaux articles (pas encore tous publiés sur le site) toutes les semaines.
Comics Oddities est un nom vraiment singulier, bien entendu en référence à David Bowie ?
Evidemment ! S’il y a bien une personne dont je ne pourrais jamais dénier être un fanboy béat, c’est David Bowie. Le nom du site est donc bien un hommage au créateur de Ziggy Stardust. En faisant référence à Bowie, je voulais aussi affirmer une envie de ne pas se limiter seulement aux comics même s’il est vrai que la section « Strange Cultures » du site est encore bien légère.
De plus, le terme « Oddity » désigne une étrangeté, une curiosité, un objet un peu différent comme on peu en trouver dans les brocantes et ça, ça collait parfaitement avec les sujets dont j’aime parler.
Tes articles sont toujours très détaillés sur les coulisses éditoriales des titres dont tu parles. Où puises-tu tes informations ?
Merci de le remarquer. J’ai développé un certain intérêt pour les coulisses de cette industrie avec le temps et donc pour mes informations, j’effectue des recherches dans ma collection de magazines actuels ou d’époque, d’ouvrages spécialisés, de sites internet que je considère comme fiables… Pêle-mêle, les infos sont piochées dans Scarce (la bible française), les Modern Masters, Marvel Age, les ouvrages des Moutons Electriques, Marvel The Untold Story, Chronomonkey…
Après, je croise ces différentes sources et j’essaie d’en effectuer la synthèse, sachant que n’importe quelle source est biaisée par le point de vue de l’auteur, de l’interviewé, l’époque à laquelle ça a été écrit ou autre. C’est en confrontant ces faisceaux d’informations les uns aux autres que l’on peut s’approcher au plus proche d’une certaine justesse.
Je suppose que c’est une déformation venant de mon cursus en Histoire. Du coup, j’ai gardé cette habitude de creuser le contexte ayant donné naissance à une œuvre. A une époque où la critique se fait de plus en plus tranchée, voire binaire (surtout sur Internet), je trouve cette prise de recul nécessaire pour juger au mieux d’une œuvre. C’est aussi pourquoi je préfère principalement travailler sur des œuvres passées plutôt que sur l’actualité. En prenant en compte le contexte de production d’une œuvre, en croisant les différentes sources, en essayant de connaitre la note d’intention de l’auteur, les conditions dans lesquelles il a travaillé… on peut nuancer son opinion sur un livre et être un peu plus objectif y compris sur des trucs qu’on adore ou qu’on déteste.
Par exemple, on pourra trouver que ma critique du Marvel Graphic Novel des New Mutants est assez dure. Sauf que cette opinion prenait en compte le fait que ce sont en fait des épisodes reconditionnés en MGN afin de remplir le planning (pour pallier au retard de Star Slammers) et de ne pas avoir à payer de pénalités de retard auprès de l’imprimeur. La note d’intention n’était donc pas de faire un MGN.
Est-ce un bon début de série ? Oui. Est-ce un bon MGN ? Pas plus que cela car il ne correspond pas aux cahier des charges de cette collection (qui était alors de proposer des histoires sortant des sentiers battus comme Death of Captain Marvel ou God Loves, Man Kills).
En plus de cette partie rédactionnelle, il y a aussi du dessin sur Comic Oddities, peux-tu nous en parler ?
Je connais Frédéric Steinmetz depuis mes lointains débuts de forumer et nous nous sommes très vite trouvé des atomes crochus qui se sont mué en une amitié à distance aussi forte que possible. On partage un certain regard commun sur la vie et les choses culturelles ainsi qu’un amour immodéré pour les œuvres déviantes et l’humour tordu. Vu qu’en plus j’étais fan de ses dessins, de l’efficacité et de bouillonnement de son graphisme, comme ont pu le constater les lecteurs de son album The Notorious, et que je n’avais pas spécialement envie que le blog tourne en une aventure solitaire, il était donc normal que je l’invite à en faire partie tout en lui laissant carte blanche.
L’idée au départ était surtout d’offrir un surcroît de visibilité à quelqu’un que je considère comme talentueux et comme un ami. Et puis, avouons-le, c’est lui la véritable star du site 😀
Comment se passe ta collaboration avec ton complice dessinateur ? Vous avez les idées ensemble ?
Comme disait papy Stan, tout vient de mon cerveau génial ! Naaaaan !!! Comme dit dans la réponse précédente, je laisse carte blanche à Fred pour intervenir comme il l’entend sur le site. Ainsi, et même s’il se cantonne pour l’instant aux dessins, je ne désespère pas de le convaincre d’écrire lui aussi des articles, en particulier sur l’art de la narration en images. Sinon, il n’a jamais été question entre nous d’une quelconque relation de subordination et nous nous connaissons assez bien pour que notre travail fonctionne bien. Tout sort ainsi seulement de son imagination.
Il lui arrive bien parfois de me demander conseil sur telle ou telle esquisse mais à chaque fois je précise bien que ce n’est que mon avis et qu’il ne reflète pas nécessairement la meilleure option.
Le seul truc où j’ai donné l’impulsion c’est pour les fausses pages d’Alpha Flight 6. En éditant l’article sur cet épisode Assistant Editors’ Month, je me suis dit que ce serait une idée amusante pour le 1 er avril et aussi aussi que cela constituerait un défi créatif intéressant pour Fred ; à savoir jouer avec le cadre de cases et bulles déjà existantes, à introduire de l’humour déviant dans un récit sérieux… Mais toutes les idées présentes dans ce « faux » sont le produit de son imagination perverse 😀
Quel regard portes-tu sur l’industrie des comics ? En général puis en France en particulier… 😉
L’industrie des comics… et bien, c’est devenu une industrie justement, une très grosse industrie prise dans des enjeux qui dépassent à la fois les artistes et les lecteurs. C’est paradoxal d’une certaine manière. Jamais les comics n’ont été aussi connu et pourtant les ventes US continuent de stagner depuis la banqueroute des 90s. Il y a là la nécessité d’une refonte totale de l’industrie mais aucune des majors ne semblent prête à le faire, probablement parce qu’elles sont portées à bout de bras par les studios.
Après, j’ai un certain romantisme qui fait que j’ai un intérêt particulier pour le moment où un milieu tient encore un peu du far-west, de l’artisanat, où les règles se construisent au fur et à mesure tout en permettant à des personnalités hors-normes de se développer. Les choses sont beaucoup plus cadrées et moins folles de nos jours mais bon c’est une évolution naturelle que l’on retrouve dans la musique, le cinéma, les jeux vidéos…
Côté France, la question principale tient à l’extensibilité du budget du lecteur. L’offre n’a jamais été aussi étendu qu’aujourd’hui avec un nombre de maisons d’édition et de publications plus important que jamais. Même les œuvres rares ou patrimoniales commencent à franchir de plus en plus l’océan. C’est une chance pour le lectorat français qui peut enfin acquérir a posteriori une vision plus complète et réelle de la diversité des comic books.
Cependant, sous cette avalanche de publications le lecteur peut se sentir quelque peu perdu et, à l’exception des plus riches d’entre nous, se trouve dans l’obligation de faire des choix parfois cornéliens. Cette question du budget risque de se poser de plus en plus, surtout quand on voit l’abandon du kiosque et la vague d’ouvrages luxueux (et donc chers) actuelle. Ni Urban ni Panini ne sont responsables de la situation actuelle des kiosques et NMPP (NDLR : l’ancien nom de Presstalis) et on ne peut pas les blâmer de se reporter sur la partie la plus lucrative de leur activité mais il est quand même dommage de voir se raréfier le secteur des revues qui fut pendant longtemps la porte d’entrée des lecteurs au budget limité (et souvent enfants) sur le monde des comics.
Apprécies-tu les adaptations de comics en films / séries ? Qu’est-ce que tu y aimes, et qu’est-ce que tu n’y aimes pas ?
Arf ! La question piège ! Disons qu’ils vivent leur vie et que je vie la mienne de mon côté 😀 Pour être plus clair, je suis dans la même démarche pour les films que pour les comics donc je m’intéresse plus aux réalisateurs qu’aux personnages en eux-mêmes. En conséquence, toutes les histoires de fidélité aux comics originaux, de continuité, de « cinematic universes » me passent un peu au-dessus de la tête. Ce qui m’intéresse c’est la rencontre entre la personnalité d’un réalisateur, son univers, ses thématiques et le personnage adapté, ce qu’il en tire, comment il le fait résonner avec ses propres thèmes, l’histoire qu’il nous raconte et ce que le tout peut nous dire sur nous-mêmes et/ou notre société.
Du coup, même les films d’un Zack Snyder (dont je suis loin d’être fan) ou le Hulk de Ang Lee peuvent être intéressants à regarder et à analyser. En résumé, si le réalisateur/showrunner m’intéresse et travaille sur un film ou une série de super-héros, à l’instar de Noah Hawley dont le travail sur Fargo m’a ensuite poussé vers son Legion, j’y jetterais un œil. Sinon, j’attendrais le passage sur TF1 😀
Si tu ne devais choisir qu’un artiste et qu’un dessinateur de comics que tu pourrais rencontrer, qui choisirais-tu ?
Je n’ai jamais vraiment été le genre à chercher à rencontrer les gens dont j’aime le travail. Déjà, je suis légèrement agoraphobe donc je ne cours pas les conventions, et puis je considère qu’ils n’ont peut-être pas envie d’être dérangé et ont droit à leur intimité. Enfin, je ne vois pas trop ce que je pourrais leur dire dans ce genre d’occasion et je préfère ne pas voir mon impression d’une œuvre être entaché par une mauvaise rencontre avec un auteur qui s’avérerait de mauvais poil ou autre.
Mais bon, si je devais réellement choisir je dirais Kirby pour les morts ou Morrison pour les vivants.
En dehors de Comics Oddities, des sources bien informées glissent dans mon oreillette que tu aurais une activité éditoriale. Peux-tu nous en parler ?
Ah ! La collaboration avec Fordis Editions. Pour faire simple, le directeur de publications de Fordis avait repéré un de mes articles sur un Marvel Graphic Novel et il me contacta pour savoir si j’étais intéressé pour écrire le même genre de texte en introduction de chaque tome de la série dont il venait d’acquérir les droits (et dont le MGN fait partie). Je ne me suis évidemment pas fait prié et chaque avant-propos constitue un challenge intéressant en cela qu’il m’oblige à être plus synthétique et plus accessible que je ne le suis habituellement sur le site.
Je suis tenu par le fait que le lecteur ne connait pas forcément tel ou tel auteur américain ou par le nombre de signes imparti. Autant dire que c’est un défi de taille quand on connait mon amour pour les pavés de texte… mais c’est une occasion de s’améliorer. Toute nouvelle expérience est une leçon pour devenir meilleur, que ce soit professionnellement ou personnellement.
Merci beaucoup Sébastien pour tes réponses 😀
N’hésitez pas à aller visiter le site Comics Oddities, où vous retrouverez les chroniques de Sébastien et les dessins de Frédéric, volontairement non inclus dans cet article pour vous laisser le plaisir de la découverte. 🙂
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