Aujourd’hui, je vous propose de nous intéresser au site Bruce Lit avec une interview de Bruce, son créateur.
Bonjour Bruce, peux-tu te présenter pour les lecteurs de Watchtower Comics ?
Bonjour à tous. Et bien, je m’appelle Bruce Tringale, je suis travailleur social de formation et le rédacteur en chef du blog BRUCE LIT (brucetringale.com). Le site existe depuis 6 ans et a pour ambition de suivre la dynamique propre aux comics, à savoir écrire une histoire sans fin jusqu’à épuisement, soit un article par jour portant essentiellement la culture comics.
Au fil du temps, avec mes contributeurs, la Bruce Team, nous avons eu aussi envie de parler de franco-belge, de mangas, d’animés et depuis quelques mois de musique avec le Vendredi Rock.
Bruce Lit propose des analyses de fond sur chacun de ces domaines avec, en plus des reviews quotidiennes, des RDV très appréciés de nos lecteurs : Le vendredi rock donc mais aussi Figure Replay, Le Défi Nikolavitch, Vampires sous les tropiques, Anthologeek, Collector, les articles participatifs et le Bullshit Detector. La section Interview est aussi très fournie avec de longs entretiens avec JP Dionnet, Pat Mills ou Olivier Bocquet.
L’ambition initiale est restée la même depuis 2014 : créer un pont entre la culture geek et la culture tout court.
Depuis quand lis-tu des comics ?
Vers mes 8 ans, ma mère me laissait tous les mercredis chez une nourrice qui avait tous les Pif Gagdet et les Spidey. J’étais très inhibé et la vie intérieure avec Rahan et Spiderman me semblait plus prometteuse que de jouer dehors à la marelle.
J’ai donc dévoré tous ces magasines que je lisais par dizaine sans interruption. J’y ai fait connaissance avec les X-Men et lorsque je les découvrais adultes dans Spécial Strange en pleine saga du Phénix Noir, j’avais l’impression de grandir en même temps qu’eux. Je ressentais une profonde complicité avec ces héros mal-aimés, avec Cyclope et Iceberg notamment.
J’ai collectionné tous les Special Origines, Strange et Special Strange de cette époque avec une véritable adoration pour le DD de Miller dont j’attendais impatiemment les aventures chaque mois. L’interruption de BORN AGAIN par Lug a été un vrai drame pour l’enfant que j’ai été. J’ai attendu 20 ans avant d’en connaître la suite.
Ceci dit, j’ai appris la patience. Grâce à ce décalage horaire, j’ai apprécié de lire à mon rythme, sans grand souci de la continuité autre que celle que je me forgeais moi-même et ça n’a pas changé.
Quels sont tes séries et auteurs préférés ?
DAREDEVIL : BORN AGAIN constitue le sommet de la série, du comic book et un moment où cet art longtemps qualifié de mineur tutoie la littérature d’un Paul Auster. Si David Mazzucchelli raconte dans ASTERIOS POLYP les mésaventures d’un architecte à la rue après la destruction de son appartement et que quelques années auparavant il illustra CITE DE VERRE, ce n’est pas par hasard.
DD a eu de grands noms tout au long de son histoire : Miller et Nocenti en tête. Bendis, je le situe loin derrière : après HARDCORE, ça part en couilles. J’ai beaucoup aimé le run de Mark Waid qui constitue la fin idéale de la série. Tout ce qui vient après, c’est hors canonique à mes yeux.
J’adore aussi LE PUNISHER de Ennis, exceptionnel en tout.
Je connais mes X-MEN par cœur, même si Claremont n’a pas toujours été régulier dans son écriture. Son GOD LOVES, MAN KILLS reste dans mon Top 5 des meilleurs comics jamais écrits. Il m’a dirigé vers Primo Levi.
J’aime beaucoup les X-Men des années 90 de Lobdell et Nicieza, une époque où l’étude des personnages primait sur les événements et qui prônait un certain humanisme à l’inverse de ce que les mutants sont devenus : des fanatiques radicaux et communautaristes qui ne croient plus en leurs idéaux. A quelques exceptions près, notamment les runs de Remender et de Jason Aaron, cette équipe n’a plus rien pour m’intéresser. Et ce n’est pas le run de Hickman qui confond Comic Book et Power Point d’un fort en science qui va me réconcilier avec la série.
Je me suis détaché progressivement de Marvel à l’exception de quelques récits de Dan Slott pour son écriture maline et chaleureuse. Plus rien ne semble avoir d’importance ni l’histoire des personnages, ni les équipes créatives avec 6 dessinateurs pour un arc et encore moins ces putains d’Events ou de Crossovers qui prennent le lecteur en otage avec plein d’invités non désirés, comme ONSLAUGHT en son temps. Tu prends un truc passionnant comme le CAPTAIN AMERICA de Nick Spencer et tu te retrouves avec un SECRET EMPIRE et Miles Morales ou Kamala Khan dont je me fiche complètement. Même chose avec AXIS qui frôle le ridicule et qui conclut le run passionnant de Remender sur UNCANNY AVENGERS.
Aujourd’hui Matt Murdock serait sauvé par Gwenpool durant BORN AGAIN. Charles Soule, le scénariste le plus nul de sa génération, 3 ans sur DAREDEVIL, merde…
Chez les indépendants, j’ai longtemps vénéré le SANDMAN de Gaiman, le SCALPED de Aaron et Guera et fondamentalement le PREACHER de Ennis et Dillon. Sur THE BOYS, son écriture est au sommet et j’en voudrais toujours à Robertson d’avoir arrêté de l’illustrer en cours de route.
Alan Moore : j’aime particulièrement son JACK B QUICK.
Dans les séries plus récentes WALKING DEAD, POSTAL TONY CHU, HARBINGER et LE SOLDAT INCONNU de Dysart , KILL OR BE KILLED. J’adore le DEADLY CLASS de Remender dont j’attends la fin avec impatience.
Je ne lis que très peu de DC, pas ma culture mais avec le temps j’ai appris à apprécier certains BATMAN, notamment LA PROIE DU DR STRANGE et LE CULTE qui montre un Bruce Wayne faillible. Récemment j’ai apprécié le WHITE KNIGHT de Murphy et la SUPERGIRL de Joëlle Jones. Que des récits indépendants en fait.
Comment t’est venue l’envie de créer ton site ?
Suite à un atelier d’écriture, j’ai réalisé que ma prose pouvait produire de l’intérêt chez l’autre. Je me suis à poster de plus en plus frénétiquement des critiques sur Amazon sur des disques de rock, des films, des livres et des comics qui m’avaient marqués. Je vivais une sorte de fantasme à rebours puisque je me destinais au journalisme au sortir de la fac avant de prendre une orientation professionnelle radicalement différente.
J’ai dû écrire environ 700 articles, j’étais classé parmi les meilleurs commentateurs français avant de réaliser qu’Amazon se foutait bien de ma gueule.
Ma femme à l’époque suivait une formation de graphiste et devait créer un site pour valider sa formation. On peut dire BRUCE LIT est notre bébé, la rencontre de son savoir-faire et de mes ambitions.
Je ne regrette pas mes années Amazon, c’est ici que j’ai rencontré mes 4 mousquetaires Présence, Tornado, JP Nguyen et Cyrille M qui sont le ciment de la Bruce Team. D’autres contributeurs nous ont rejoints par la suite.
Très vite, j’ai eu envie d’avoir des contradicteurs, des gens qui aimaient l’exact inverse de ce que je rejetais.
Outre la qualité d’écriture, la grande force de BRUCE LIT, ce sont les échanges d’idées dans les commentaires. Les discussions y sont passionnantes. On nous a reprochés un jour d’y faire salon. C’est le plus beau compliment que l’on pouvait nous faire au contraire !
Sauf erreur de ma part, Bruce Lit ne traite pas d’information. Est-ce une volonté délibérée, ou est-ce que cela s’est imposé pour des raisons d’organisation ?
Il est impossible de traiter l’actualité avec un article de fond par jour. Je dirige la ligne éditoriale du blog, met en forme les articles des copains, organise la publication, poste les teasers de FB, répond aux lecteurs, recrute des invités en plus de mes propres articles et tout ceci de manière bénévole.
De toute façon, la nouveauté ne m’intéresse pas. Une pléiade de sites, dont WATCHTOWER COMICS le font bien mieux et plus longtemps que moi. La force de BRUCE LIT est de tenter de ne pas être dans la redite. Qui a besoin d’un nouveau site annonçant le casting du prochain film MDCU ?
C’est enfin ma personnalité de retardataire volontaire. J’aime aller au cinéma quand le film est en fin d’exploitation, manger dans des restos déserts et acheter des disques des mois, voire des années après leurs sorties. Je suis mon propre horloger. Personne ne m’imposera son planning.
Contrairement à pas mal de sites de la blogosphère comics, Bruce Lit traite de la culture geek en général (manga, séries TV…). Pourquoi n’as tu pas fait le choix de la spécialisation comme tant d’autres ?
Parce que à ce jeu, tu trouves toujours meilleur que toi. Je reste un amateur éclairé et considère avoir tout à apprendre des autres. Il y a des Sachant, des Universitaires qui se passionnent pour savoir si un truc de 1920 a inspiré le Comics d’aujourd’hui. Pas moi. Je les écoute avec plaisir, on s’entend bien mais à long terme, je préférai toujours une conversation à une conférence.
Chez BRUCE LIT les analyses sont pointues mais toujours ouvertes à la discussion, au débat voire au Mea Culpa.
Le BULLSHIT DETECTOR ose égratigner des vaches sacrées comme Claremont, Milar, Morrison ou Warren Ellis de manière un peu gonzo. Certains s’en offusquent moi je trouve ça très sain. Il y a des gens de la geekosphère que je ne peux plus croiser en Comic Con à cause de cette rubrique. D’autres nous félicitent pour ce parler vrai souvent empli de mauvaise foi mais aussi d’humour. On peut aimer Balzac ou Zola et trouver que certains de leurs romans sont moins bons que d’autres, considérer qu’un guitariste joue comme une merde sur tel ou tel album ou qu’un champion de tennis a foiré son match, non ?
Sur ton site, il y a toute une équipe autour de toi. Comment se déroule la collaboration avec ton équipe ? Es-tu très près d’elle pour les choix éditoriaux, ou bien lui laisses-tu une certaine indépendance ?
Si BRUCE LIT était un appart’, je dirais que j’héberge beaucoup de monde, que l’on y reste autant que l’on veut, que l’on peut y poser les pieds sur la table, que je sers les petits fours à tout le monde mais que le bail reste à mon nom et les clefs dans ma poche.
Après une période d’essai, les contributeurs ont carte blanche : ils écrivent sur ce qu’ils veulent et je publie quand j’estime que le timing est le bon. Avec un article par jour, j’essaie de déterminer une thématique en fonction de plusieurs paramètres : l’actualité des contributeurs, l’ère du temps, l’alternance des thématiques, les rubriques mensuelles et mon article hebdomadaire que je souhaite caser. J’adore quand tout finit par s’emboîter comme un Tétris.
Maintenant il m’arrive parfois de diriger un copain sur un article dont je le sens capable ou pour le jeu de le faire sortir de sa zone de confort. Chaque mois, je fais un debrief avec l’équipe sur ce qui a marché et sur ce qu’ils ont envie d’écrire. Il y a pas mal de Teamup entre nous, des articles écrits à 4 mains. L’ambiance est vraiment conviviale et détendue. Lorsqu’il y a des tensions, nous parvenons à les éteindre jusqu’à présent, on se connait bien désormais. Tant qu’il y aura du respect, l’envie de s’amuser et un niveau égal entre les égos, il n’y a aucune raison que ça change.
En parlant de ton équipe, comment s’est elle constituée ? Aurais-tu des anecdotes sur l’arrivée de tes collaborateurs à tes côtés ?
La moitié sur Amazon et l’autre via Facebook ou directement sur le blog. Mattie Boy et Eddy faisaient partie des commentateurs les plus réguliers, leur arrivée allait de soi.
Avec Kaori, on avait partagé de chouettes discussions sur Scott Summers. Malgré sa timidité, elle a immédiatement trouvé sa place, c’était génial de la voir évoluer.
J’ai animé quelques conférences avec Alex Nikolavitch avant de découvrir qu’il était mon voisin de palier !
C’est pendant une dédicace avec Neil Gaiman que j’ai recruté Patrick 6, on a pas arrêté de faire les cons dans la file d’attente.
J’ai connu aussi Edie sur Facebook. J’ai adoré ses dessins et au bout de 15 minutes lui ai proposé illustrer mon article sur Gainbourg. Elle est notre illustratrice officielle depuis 3 ans. Nous avons beaucoup de lecteurs qui proposent de jouer les guest-stars. Je refuse rarement même si l’explication des consignes de mise en forme m’est de plus en plus chronophage..
J’ai besoin de ressentir le feeling avant de proposer à quelqu’un d’entrer dans l’équipe, je prends désormais du temps pour tester son sens de l’humour, de la discussion, du collectif et surtout son écriture. Je suis moins à la recherche de spécialistes que de signatures.
Deux anecdotes qui me sont chères : me retrouver à dialoguer par Messenger avec le romancier RJ Ellory en bord de mer ! Je lui avais fait remarquer une coquille dans son livre et on s’est écrit tout l’été avant de l’interviewer. Un écrivain génial vraiment accessible.
La deuxième avec JP Dionnet que j’ai interviewé dans ma rue faute d’une bonne réception téléphonique à la maison. Le mec me donne son numéro de téléphone, super excité j’abandonne l’anniversaire de ma fille à peine habillé et j’attrape une vilaine bronchite juste avant le COVID. Nos lecteurs ont illustré l’article avec les dessinateurs de la BRUCE TEAM. C’est l’esprit que je recherche.
Quel regard portes-tu sur l’industrie des comics ? En général puis en France en particulier… 😉
Un regard assez distancié puisque son actualité ne m’intéresse pas. Les controverses autour de Panini ne me touchent pas puisque je n’achète quasiment rien en neuf. J’ai participé à quelques campagnes de Komics Initiative, FOXBOY c’est très chouette. Je suis par contre très sensible au sort de nos auteurs qui crèvent de faim et qui renoncent à leur métier faute de beurre ET d’épinards.
Ça me fait chier de voir des geeks faire la promo des collections de supermarché. Sérieusement, vous voulez vraiment acheter vos comics à Carrefour alors que même des enseignes comme Album tirent la sonnette d’alarme ? Boulinier vient de fermer dans le quartier St Michel. On va sûrement avoir à la place une belle compagnie d’assurances…
Apprécies-tu les adaptations de comics en films / séries ? Qu’est ce que tu y aimes, et qu’est ce que tu n’y aimes pas ?
Ah…J’ai écrit un long article sur mon amour inconditionnel du HULK seventies. Je peux encore écouter le thème THE LONELY MAN et en avoir les larmes aux yeux.
J’ai bien aimé les 1ers films Marvel, l’époque où l’on proposait la vision d’un réalisateur : le HULK de Ang Lee, le SPIDEY de Raimi ou les X-MEN de Singer. Sans doute ai-je surestimé ces films à leurs sorties, je ne les ai plus jamais revus depuis.
Puis je m’en suis progressivement désintéressé pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, le format comics me convient tout à fait. Je n’ai jamais ressenti le besoin de voir mes héros à l’écran, les films je me les suis fait mentalement des milliers de fois. Donc ces films ne nourrissent aucun rêve en moi. Comme le disait Alan Moore, la BD permet de ne pas faire de compromis et d’être relativement indépendant : on écrit pas un comic book comme un scénario de films. L’un va toucher des milliers d’individus, l’autre des milliards.
Ensuite, mon rapport aux comics est trop exclusif, c’est comme partager ma femme avec un autre homme, c’est juste impossible. J’ai haï de toute mon âme les adaptations des X-MEN, de PREACHER et de DD Netflix qui est une trahison pure et simple de ce personnage que j’adore. Les hypersens de Matt ne sont jamais mis en valeur, son agilité, sa grâce, son intelligence, sa sensibilité non plus. Au lieu de ça, on a des personnages qui se baladent dans un NY vide, un héros mauvais dans tout ce qu’il fait et une Karen Page dont on ne peut que souhaiter la mort.
ENDGAME et les GARDIENS DE LA GALAXIE, c’est très complet comme divertissement. Je me retrouve davantage dans les animés : ceux de BATMAN et SPIDER-MAN NEW GENERATION sont très bons. Mais globalement, je n’y trouve ni de signature, ni d’émotion. Tout y est prévisible, formaté. Dans mon top 100 des meilleurs films de ma vie, il n y’ a pas de films de super-héros. Aucun.
Ceci dit, je peux comprendre qu’après le boulot, tu veuilles t’évader loin de la crise des réfugiés, du réchauffement climatique, du terrorisme ou des bouffonneries de Trump. Ces films vont former une génération. C’est parce que ça été pensé comme tel que c’est effrayant. Tout est planifié comme dans un plan stalinien. C’est ironique quand on y pense, l’Amérique, tout ça…
Si tu ne devais choisir qu’un artiste et qu’un dessinateur de comics que tu pourrais rencontrer, qui choisirais-tu ?
En binôme ? Frank Miller et David Mazzucchelli dont j’admire l’intégrité, leur dire que BORN AGAIN m’a accompagné dans les pires moments de ma vie.
Garth Ennis et Steve Dillon, mais là c’est foutu : Dillon est mort, je l’aimais beaucoup même si la plupart de la Bruce Team trouve que c’était un dessinateur limité.
J’adorerais rencontrer Jason Aaron et RM Guera : SCALPED, c’est sensationnel !
…
Merci beaucoup Bruce pour tes réponses 😀
Vas-y Frankie, c’est bon !
En plus de son site brucetringale.com, vous pouvez retrouver Bruce Lit sur Twitter et sur Facebook.
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