Le lundi c’est librairie !
Aujourd’hui, nous vous proposons la chronique de 4 albums.
Au programme :
- Le dernier jour de Howard Phillips Lovecraft (404 Comics)
- Les éphémères tome 1 (Futuropolis)
- 300 (Huginn & Muninn)
- Arrowsmith tome 1 (Delcourt Comics)
Chaque lundi, nous vous proposons dans notre rubrique Le lundi c’est librairie ! la chronique de titres parus en librairie. Il peut tout aussi bien y avoir des titres très récents ou des avant-premières que des albums sortis moins récemment.
Le dernier jour de Howard Phillips Lovecraft
- Éditeur : 404 Graphic
- Prix : 24.95€
- Date de sortie : 26/10/2023
- Format : Couverture cartonnée, 152 pages
- Auteur(s) : Romuald Giulivo / Jakub Rebelka
- EAN : 9791032405123
Howard Phillips Lovecraft est en train de mourir. Voici donc l’histoire de sa dernière journée, tandis que sa vie s’enfuit.
Romuald Giulivo relève le défi de faire vivre au lecteur le dernier jour de celui qui a imaginé des récits ayant influencé plusieurs générations d’auteurs qui lui ont succédé. L’histoire commence sommes toutes assez tranquillement : après une rapide entrée en matière un rien étrange, Lovecraft est montré agonisant dans un hôpital, reçoit un ultime traitement palliatif pour apaiser sa douleur. Survient alors un visiteur, et alors tout bascule dans l’étrange.
L’auteur ne ménage en effet pas sa peine pour faire en sorte que cette ultime journée du maître de l’horreur soit tout sauf banale ! Tout en plantant le décor en donnant des éléments sur Lovecraft, il met en scène un curieux périple mettant à mal la perception de réalité du lecteur. Howard Phillips Lovecraft voyage ainsi au sein de Lovecraft, de sa propre vie, de ce qu’il représente et même de son héritage littéraire. On pourra saluer d’ailleurs l’idée de faire intervenir des invités prestigieux dans ce domaine, dont l’identité est assez simple à deviner mais que l’on pourra de toutes façons voire figurer dans un trombinoscope en fin d’ouvrage.
Outre l’histoire elle-même, Romuald Giulivo a également inclus des lettres de Lovecraft. C’est une façon plutôt bien vue de rappeler que ce dernier est également connu pour sa correspondance et s’il ne s’agit pas de véritables lettres il y a un travail de qualité pour coller au maximum à ce qu’il aurait pu écrire.
Vibrant hommage à Howard Phillips Lovecraft et à son œuvre, l’album est aussi totalement objectif en ne mettant pas de côté ses zones d’ombres et les côtés les moins reluisants de sa personnalité. Après tout, c’est un humain lui aussi avec ses qualités et ses faiblesses et il est appréciable que cela ne soit pas mis de côté.
Le dernier jour de Howard Phillips Lovecraft est une œuvre exigeante, mais qui récompensera le lecteur s’étant immergé dans cet histoire par un récit très bien écrit et captivant. L’ambiance est très particulière, on n’est pas dans une simple évocation de la vie et de la carrière d’un auteur mais plutôt dans une immersion profonde en leur sein. L’approche est très pertinente et cet album s’avère tout à fait passionnant.
Un des atouts de cette œuvre est qu’elle ne s’adresse pas qu’au fan hardcore de Lovecraft : bien entendu ce dernier sera particulièrement récompensé en y identifiant des détails de l’œuvre de l’auteur, mais elle est aussi totalement accessible à un lecteur qui n’en est pas forcément un familier. Le dernier jour de Howard Phillips Lovecraft peut même faire office de passerelle pour amener le lecteur vers cet univers étrange, mais si ce dernier ne recherche qu’une œuvre de qualité sur l’univers en question il y trouvera également son compte.
En ce qui concerne le graphisme, nous sommes gâtés ! Jakub Rebelka signe en effet des planches superbement réalisées qui mettent en place une atmosphère étrange accompagnant à merveille les mots de son collègue. Le lecteur se retrouve ainsi propulsé au sein de l’histoire grâce à des dessins reflétant parfaitement l’ambiance de chaque moment, allant même très loin dans leur représentation avec des effets d’une redoutable efficacité. Les couleurs sont également très bien choisies, avec un joli travail sur l’emploi du rouge. A noter que le format de cette jolie édition (ainsi que son papier) permettent de profiter pleinement du graphisme et d’en prendre plein les yeux.
Côté bonus, le sommaire de l’album est complété par une postface de François Bon (spécialiste de Lovecraft), un trombinoscope des personnages de l’histoire et un abondant cahier graphique de Jakub Rebelka.
Un excellent album, qui emmène le lecteur dans un voyage passionnant dans la dernière journée de Howard Phillips Lovecraft.
Les éphémères tome 1
- Éditeur : Futuropolis
- Collection : Récits singuliers
- Prix : 23.00€
- Date de sortie : 04/10/2023
- Format : Couverture cartonnée, 168 pages
- Auteur(s) : Jeff Lemire
- EAN : 9782754836531
Un criminel en fuite se cache dans une grange, et noue une amitié improbable avec la jeune fille du propriétaire de cette grange.
C’est le point de départ de cette œuvre étrange de Jeff Lemire, qui signe un premier tome à l’ambiance curieusement éthérée pour raconter une histoire peu banale. Elle commence pourtant d’une façon assez classique, avec un braquage qui tourne mal dans une petite ville. Mais outre le fait qu’il y a en même temps une vague d’éphémères – des insectes présents en grand nombre et qui meurent très vite – le fugitif connait une curieuse métamorphose.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce premier tome de Les éphémères n’est pas banal ! Ce n’est guère surprenant quand on connait un peu l’œuvre de Jeff Lemire comme par exemple sa relecture insolite de L’homme invisible (The Nobody), mais ce n’est pas pour autant que le lecteur ne sera pas surpris en lisant ce premier tome.
En effet, à la lecture de son pitch on se doute bien qu’il va y avoir de l’insolite au menu, mais l’histoire est tout de même beaucoup plus étrange que ce à quoi nous pourrions nous attendre à la simple lecture du résumé figurant sur la quatrième de couverture de l’album.
Tout au long de cette première partie de son histoire, l’auteur raconte la vie de Franny, une jeune fille dont la vie n’est guère facile dans la petite ville où elle habite, ainsi que la chasse à l’homme pour retrouver le fugitif caché dans la grange de la ferme où elle vit. Comme indiqué plus haut, ce dernier va se métamorphoser d’une curieuse façon mais cela n’entamera en rien le lien qui est en train de se tisser entre lui et la jeune Franny.
En se laissant porter par cette histoire étrange, le lecteur est récompensé par une lecture passionnante et même envoûtante. L’ambiance de cette première partie est très particulière, avec pas mal de thèmes intéressants qui s’entremêlent pour former un récit très bien écrit et touchant. On ne saisit pas forcément le pourquoi du comment à propos des événements bizarres qui se produisent dans cette histoire, mais ce n’est pas forcément un souci car justement tout le talent de l’auteur suffit à nous convaincre que ce n’est pas le plus important dans ce qu’il nous raconte.
Nous restons volontairement évasifs sur ce qui se produit dans l’album afin de conserver intacte l’expérience qu’en constitue sa lecture, en tout cas si vous êtes à la recherche d’une œuvre captivante et sortant des sentiers battus, alors Les éphémères est une histoire qui vous séduira. La seconde et dernière partie est programmée à l’été 2024, ça va faire une longue attente mais ça en vaut la peine !
Le graphisme, également signé Jeff Lemire, n’est pas vraiment académique ni même réaliste, mais est tout à fait réussi. La narration graphique est efficace, et si le trait est simple il n’en est pas moins expressif pour montrer au lecteur ce que ressentent les personnages.
Un excellent album, où l’ambiance très étrange sert à merveille une histoire très bien écrite.
300
- Éditeur : Huginn & Muninn
- Prix : 19.95€
- Date de sortie : 20/10/2023
- Format : Couverture souple, 176 pages
- Auteur(s) : Frank Miller
- EAN : 9782364809284
Il étaient 300. 300 soldats engagés dans un combat sans merci et peut être même sans espoir. Ce sont les spartiates, et ceci est leur histoire.
Frank Miller raconte ici l’histoire de la bataille des Thermopyles, où les spartiates de Léonidas ont affronté les troupes perses de Xerxès 1er. Les perses ont pour eux le nombre et la dévotion envers leur souverain, tandis que les spartiates ont pour eux l’excellence au combat acquise toute au long de leur vie d’obéissance et une volonté indomptable. Rencontre explosive de deux forces impossibles à arrêter, leur affrontement sera nécessairement apocalyptique.
L’histoire est racontée comme un conte transmis par un orateur, avec des flashbacks pour expliquer comment la situation en est arrivée est là. Nous découvrons ainsi le roi Leonidas, toujours prompt à se prémunir des excès de zèle au sein de ses troupes mais tout à fait disposé à mener un combat que tout le monde voit comme sans espoir de victoire en étant mené par son tempérament de spartiate (traduire : têtu jusqu’à l’obsession).
Si on se contente de lire 300 au premier degré, on peut être tenté de se dire que Frank Miller raconte une histoire de supermen des temps jadis incarnant le « camp du bien » face aux « méchants perses ». Mais lire ainsi cette œuvre serait passer à côté d’un discours qui va plus loin que ça et qui est surtout d’une sacrée ironie : les spartiates à la discipline de fer (et donc pas forcément très démocrates entre eux) comme garants de la démocratie grecque, ça ne manque pas de piquant quand on y pense.
Pour être parfaitement honnête, 300 n’est pas une œuvre parfaite car l’auteur aurait pu éviter quelques dialogues blessants et même s’il s’en est expliqué par la suite on ne peut que se dire que le mal est fait et surtout ces maladresses n’apportent pas grand chose à l’intrigue. Cela reste toutefois une histoire parfaitement racontée qui met en scène cette bataille selon le point de vue des spartiates. Cette histoire de guerre et de sacrifice qui a longtemps nourri les imaginaires (il y a d’ailleurs une référence dans un épisode des X-Men des années 1980) est ici racontée avec passion par un auteur habité par son sujet qui met à son service son talent de conteur.
A travers 300, on peut tout à fait voir comment les guerres successives qui ont entaché de sang la destinée de l’Humanité ont toutes le même socle que cette histoire des temps lointains que et le fait que les hommes seront toujours voués à se détruire entre eux reste malheureusement d’actualité. C’est une lecture passionnante, à la narration hypnotique qui capture l’attention du lecteur. C’est forcément partial vu que le concept vise justement à présenter le point de vue d’une des deux factions de cette bataille, mais c’est magistralement bien raconté et ce récit n’a rien perdu de sa force au fil des ans.
Sur le plan du dessin, nous en prenons plein les yeux avec un graphisme époustouflant servi par un Frank Miller en transe. Il déploie ici les techniques graphiques également employées dans les pages de Sin City, mais ici dans un cadre ouvert largement moins claustrophobique que dans les villes qu’il a l’habitude de dessiner. Le trait est puissant, le dynamisme est au rendez-vous et la narration graphique est d’une grande efficacité grâce à une mise en page savamment réalisée. La colorisation de Lynn Varley est très réussie et contribue également au plaisir visuel de la lecture de cet album.
Côté bonus, le sommaire de l’album est complété par un passionnant dossier de Yann Graf, également traducteur de cette histoire.
Un excellent album, où Frank Miller revisite avec passion une bataille d’anthologie .
Arrowsmith tome 1
- Éditeur : Delcourt Comics
- Collection : Contrebande
- Prix : 22.95€
- Date de sortie : 02/11/2023
- Format : Couverture cartonnée
- Auteur(s) : Kurt Busiek / Carlos Pacheco
- EAN : 9782413080282
1915 : la première guerre mondiale dévaste l’Europe… mais pas comme on peut le voir dans les livres d’histoire !
Kurt Busiek ne s’est en effet pas contenté de raconter une histoire de la grande guerre comme il y en a déjà beaucoup : on est bien en Europe, on est bien en 1915, on suit bien un soldat venu d’outre-Atlantique pour combattre mais tout le reste est différent.
L’auteur a en effet opté pour une uchronie où la magie a droit de cité. Comme l’Histoire a divergé dès l’époque de Charlemagne, la face du monde est vraiment très différente avec non seulement une banalisation du surnaturel (vampires, magie, dragons…) mais aussi des pays qui sont totalement différents. De quoi rebattre totalement les cartes dans la grande histoire du monde !
Là où Kurt Busiek fait fort, c’est qu’il a aussi intégré des éléments qui font référence à des conflits guerriers ultérieurs dans le vrai monde de la vie de tous les jours. L’auteur ne s’est donc pas uniquement enfermé dans un contexte temporel semblable à la vraie Histoire mais a au contraire pioché dans le champ des possibles en montrant comment le déroulement des événements dans cette réalité uchronique est à plusieurs vitesse avec des progressions différentes.
Nous suivons donc les aventures du jeune Fletcher Arrowsmith, qui s’est engagé dans l’armée dans les Unités d’Elite Aérienne contre la volonté de sa famille. L’histoire est racontée à travers ses yeux, avec une narration épistolaire très efficace.
Ce tome est passionnant, avec un contexte uchronique qui tourne comme une mécanique de précision. En outre, Kurt Busiek en profite pour montrer que l’horreur de la guerre est associée de façon constante à la nature humaine, qu’il s’agisse d’un monde magique ou du vrai monde. Il y a pas mal d’action et une bonne utilisation du contexte d’une grande guerre pour mettre en scène un conflit de grande ampleur avec tout ce que cela implique.
Côté graphisme, c’est un véritable régal pour les yeux ! Carlos Pacheco a réalisé des planches superbement dessinées, qui servent le récit avec une grande efficacité. La colorisation d’Alex Sinclair scintille de mille feux, et souligne l’excellence du graphisme tout comme l’encrage de Jesus Merino.
Côté bonus, le sommaire est complété par une postface, un dossier sur la création d’Arrowsmith et l’évolution historique de son univers racontée par Lawrence Watt-Evans, sans oublier l’indispensable galerie de couvertures.
Un excellent album, où le lecteur sera conquis par une histoire passionnante et magnifiquement dessinée.
C’est tout pour aujourd’hui !
Le lundi c’est librairie ! vous donne rendez-vous lundi prochain pour une nouvelle chronique.
Le sommaire de la prochaine chronique sera consacré à un ou plusieurs albums, rendez-vous lundi prochain !
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