Il y a environ deux mois, Sébastien Carletti, co-auteur de Nos années Strange, avait répondu à quelques questions sur cet ouvrage dont je vous ai déjà dit tout le bien que j’en pense…
Aujourd’hui, je vous propose une interview de Jean-Marc Lainé, qui a eu la gentillesse de répondre lui-aussi à quelques questions sur son travail.
M. Lainé, et merci d’avoir accepté cette interview. Pouvez-vous vous présenter pour les lecteurs de Watchtower Comics ?
Je vais essayer de faire la version courte, mais bon, par expérience, je sais que je n’y arrive pas. J’ai 41 ans, j’ai une formation littéraire (comprendre, je ne sais pas faire grand chose à part écrire), j’ai commencé à écrire des articles dans les fanzines en 1988, j’ai écrit quelques petits scénarios qui n’ont débouché sur rien de probant, et j’ai fait de l’illustration publicitaire en 1998.
L’année suivante, j’intègre la rédaction de Semic, à Paris. Dans le même temps, je signe quelques couvertures pour les pockets Semic, je dessine quelques histories et je commence à écrire du scénario pendant mes heures perdues, ce qui me permet de travailler avec Jean-Jacques Dzialowski, Chris Malgrain, Luciano Bernasconi ou Gérald Forton. Je passe plus de cinq ans à faire de l’éditorial chez Semic sur les pockets, les comics et les albums. Je quitte Semic en 2005 et dans la foulée je monte la collection Angle Comics chez Bamboo, qui va durer deux ans et environ quarante albums.
Dans le même temps, je commence à écrire chez d’autres éditeurs, je co-signe les scénarios de Mickey à travers les mondes avec Jérôme Wicky dans le Journal de Mickey, je fais Le Cavalier Maure chez Pif-Gadget, dessiné par Patrick Dumas, et je lance la trilogie Omnopolis chez Bamboo, dessinée par Geyser. Par la suite, je signe aussi un tome de 42 : Agents intergalactiques dessiné par Louis, un tome des Policiers dessiné par Deberg, et le diptyque Grands Anciens chez Soleil, dessiné par Bojan Vukic.
Parallèlement à mes activités de scénariste, je fais aussi des ouvrages pédagogiques . J’ai rédigé les Manuels de la BD chez Eyrolles, suivis de près par Créez vos super-héros, 101 Exercices BD et La Méthode Largo Winch. Et depuis l’année dernière, je fais des ouvrages critiques, notamment une monographie sur Frank Miller et une étude du genre super-héros chez les Moutons électriques. Ou encore Nos Années Strange chez Flammarion, avec Sébastien Carletti.
Sébastien Carletti nous a raconté dans son interview comment il vous avait contacté pour lancer ce projet. Pouvez-vous nous parler de la mise en route de votre collaboration ? Est-ce difficile de co-écrire un livre avec quelqu’un qu’on ne connaît pas ?
Quand Sébastien m’a contacté, il avait une idée précise du ton qu’il voulait donner à son projet, quelque chose de sérieux et de documenté, mais sans prise de tête. Cool et détendu, mais informatif. Donc une fois que j’ai sauté à bord de son navire, mon premier boulot a été de définir un sommaire et un chemin de fer. Fort de ces éléments, on a défini nos domaines de compétence. Et pour faire court, je me suis chargé de tout ce qui était papier, et Sébastien s’est occupé des produits dérivés, du cinéma et de la télévision.
Quelles ont été les principales difficultés rencontrées pour la rédaction de ce livre ?
Elles sont plus d’ordre technique qu’autre chose. Ainsi, pour définir le calibrage moyen d’une page, on a un peu tâtonné, parfois trop long, parfois trop court, avant de trouver un bon équilibre entre texte et illustration. De même, la difficulté, ça a été de se freiner. C’est pas un problème pour nous de parler de Strange pendant des pages et des pages. C’est davantage un problème pour nous de parler de Strange dans un nombre de pages fini.
Nos années Strange réussit ce tour de force d’être très instructif sans jamais noyer le lecteur dans des détails sans fin. Est-ce que cela a été difficile de trouver ce “juste milieu” ?
Pas vraiment. En fait, on a essayé de faire comme si on était au restaurant avec le lecteur, pris dans une conversation du genre « hé, tu te souviens de la couverture de Strange 136 ? » et du genre « Tu sais que Flash, au début, en France, ils retiraient son masque ? » L’idée, c’était de trouver des informations intéressantes, marquantes, qui auraient le charme des anecdotes faciles à répéter, et de s’en servir pour étayer régulièrement le bouquin, sans tomber dans le coupage de cheveux en quatre qu’affectionnent les spécialistes et les fans de longue date. Du coup, ce fameux convive qu’on imaginait face à nous, on essayait de ne pas oublier qu’il n’était peut-être pas un lecteur « hardcore » comme nous. Notre lecteur, notre convive, c’est quelqu’un qui connaît un peu, qui est curieux, et qui a envie de rentrer dans la conversation. Donc faut pas lui faire peur avec des trucs trop pointus. Nous sommes sans une logique de souvenirs partagés, d’échange, il faut que le courant passe !
Que pensez-vous de l’évolution du monde des comics en France depuis la période couverte par Nos années Strange ?
Y a quelque chose qui me plaît énormément depuis l’arrêt de Strange (dans sa formule la plus célèbre), c’est l’émergence de l’univers de DC, l’univers de Superman, Batman, Green Lantern. Cet univers était bien exploité jusqu’au milieu des années 80, mais quand Artima et Sagédition ont fermé boutique, les lecteurs n’ont plus eu de rendez-vous régulier avec ces héros, et à part quelques brèves exceptions, Semic a été le premier éditeur à retenter l’aventure, d’abord avec quelques produits Batman, puis avec un Strange nouvelle formule qui n’a pas fonctionné longtemps, mais qui a tenté l’aventure. Donc Strange était fidèle à sa réputation de pionnier, d’explorateur du meilleur de la BD américaine. Et ça me touche aussi parce que j’ai participé, à ma petite échelle, au retour de l’univers DC en France. J’ai édité Batman, Superman, Birds of Prey, et des tas d’albums qui mettaient en scène Flash, Green Arrow, la Justice League et plein d’autres. Et aujourd’hui, je vois l’énergie et les projets d’Urban Comics, et je me dis que c’est la suite tant attendue de tous ces efforts. Et je repense à moi tout môme qui lisais des aventures de Superman ou de Batman, et je suis content de savoir que les plus jeunes lecteurs peuvent se mettre à ces univers passionnants. On a eu la « génération Strange », on a eu la « génération Spawn », on l’aura peut-être, la « génération DC » !
Dans « vos » années Strange, quelle était votre série préférée ?
Les Fantastiques, sans aucun conteste. J’adorais (et j’aime encore beaucoup) cette série. C’est une famille, c’est une bande d’amis, mais surtout, c’est une équipe d’explorateurs, et pas de justiciers. Ils ne « vengent » rien, ils ne s’occupent pas de « justice », ils sont seulement dans le domaine du « fantastique ». ils vont dans l’espace, sous la mer, dans des dimensions inexplorés, et ils cherchent surtout à savoir, à découvrir, à rencontrer, à comprendre. Et ça, ça a toujours un peu manqué. Ça a toujours été une bonne bouffée d’air dans les univers de super-héros.
Etes-vous lecteur de comics plus contemporains, et si oui quelles sont les séries que vous suivez ?
Parmi les super-héros, j’ai récemment savouré Agents of Atlas ou Incredible Hercules, et j’ai bien aimé la Miss Marvel de Brian Reed. Je viens de découvrir des épisodes de Batman par Scott Snyder qui m’ont réellement plu. Chez les indés, je continue à suivre Hellboy, BPRD, le Goon, et j’ai récemment découvert Chew, que j’aime beaucoup, malgré un dessin que je trouve assez calamiteux. J’ai une petite préférence pour Incognito par rapport à Criminal, également. Et j’aime bien le « reboot » de Spawn récent, j’avais un peu lâché la série, mais ce que Todd McFarlane remet en place après le 300 est pas mal du tout, je trouve. Après, je dois oublier un million de choses que j’ai lues récemment et que j’ai bien aimées. Par exemple, le Hulk de Jeff Parker. L’Avengers Academy de Gage… J’ai bien aimé le Flash de Johns (alors que je déteste en général ce qu’il fait) et c’est pour cela, et plein d’autres choses, que je trouve le vaste reboot de DC complètement inutile : ils sont en train de réparer un truc qui n’est pas réellement cassé. Ils feraient mieux de se concentrer sur de bonnes histoires, au lieu de bâtir des plans marketing qui brassent du vent.
Avez-vous d’autres projets en préparation ?
Oui. Je viens de commencer le manuscrit d’une monographie consacrée à Stan Lee, à paraître chez les Moutons électriques. Et je rédige à quatre mains avec Jean-Marc Lofficier un Dico des Super-héros qui avance pas mal. Enfin, je suis en train de développer des projets pour Flammarion et pour un autre éditeur, mais pour l’instant, rien n’est signé, donc on en parlera à l’occasion d’une autre interview, non ?
Merci M. Lainé pour vos réponses !
Bah de rien, c’est toujours un plaisir. Merci pour les questions, et pour avoir pris le temps de lire les réponses.
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