Hier soir, j’étais invité à un cocktail organisé dans le cadre de Comic Con, dont la date se rapproche à grands pas d’ailleurs. Outre diverses annonces de dernière minute sur le planning et des recontres très sympa, ce fut également l’occasion d’avoir un entretien passionnant avec Jean-François Dufour et Thomas Sirdey, qui sont les co-fondateurs de Japan Expo et Comic Con’. Un très bon moment que je vous propose de partager avec la retranscription écrite de l’interview.
Watchtower : Bonsoir messieurs, et merci de m’accorder cet entretien.
Jean-François Dufour : Merci à vous.
WT : Comic Con Paris en est à sa troisième saison, comment est venue l’idée de l’organiser en marge de Japan Expo ?
JFD : C’est venu du fait que lorsqu’on a commencé Japan Expo, on était avant tout passionnés par la bande dessinée de manière générale. On regardait des dessins animés mais on regardait aussi beaucoup de séries télé, que ce soit X Files, Code Quantum et compagnie, c’était des choses qui nous passionnaient aussi. Donc on s’est dit en 2007 que Japan Expo était bien stabilisée et qu’on aimerait bien y ajouter d’autres trucs parce que nous ce qu’on veut faire c’est un salon qui parle de tout ce qu’on aime. Parce que nos passions ne se limitent pas à l’univers Japonais, il y a aussi tous ces univers qu’on ne touche pas. Donc en 2007 on crée Cultima, festival des cultures de l’imaginaire, justement pour pouvoir parler de tout le reste, que ce soit le jeu de rôle, les comics, le jeu vidéo, le jeu de plateau, les séries télé, etc…Pendant deux ans, on a fait Cultima en parallèle de Japan Expo pour essayer de le développer et attirer un public jeune venant de Japan Expo ou autre vers des choses un peu plus adultes. On a donc commencé à avoir des décors de Star Wars et ce genre de trucs à l’époque, mais rapidement on s’aperçoit malheureusement que la marque Japan Expo est tellement forte qu’elle écrase la marque Cultima qu’on a du mal à développer. Les gens qui viennent pour Cultima trouvent Japan Expo un peu trop omniprésent et notamment au niveau de tout ce qui est professionnel c’était très difficile. Puis en allant à Comic Con’ San Diego en deux minutes on se dit « C’est exactement ça qu’on veut faire ! ». On s’en doutait un peu mais en y étant on se dit « Pourquoi est-ce qu’on ne l’appelle pas Comic Con’ ? » vu que c’est ce qu’on veut faire, qu’il n’y en a pas en France…
Thomas Sirdey : Ca résonne dans la tête des fans.
JFD : Voilà. Donc on prend contact avec les gens de Comic Con’ San Diego qui nous disent « Vous savez, Comic Con’ il y en a un toutes les semaines aux Etats Unis, ils utilisent tous notre renommée, etc… » et nous disent « Pour nous la France, vous savez, c’est le bout du monde…si vous voulez le faire faites le, de toutes façons Comic Con’ c’est la contraction de Comics Convention, à la limite on n’est pas propriétaires d’une quelconque marque donc allez y ». Donc nous on avait pris le parti de les rencontrer, de les informer régulièrement, c’est un plaisir de les voir chaque année…En 2009 on transforme Cultima en Comic Con’ et on s’aperçoit du coup qu’on prend un petit coup de projecteur. On investit un petit peu pour faire venir quelques acteurs et quelques auteurs de comics et on voit que ça prend, donc l’année d’après on a travaillé avec des agences pour développer les contenus séries, les contenus comics, etc…justement pour pouvoir proposer un gros salon où on a tout ce qu’on aime, toutes les cultures du divertissement que ce soit Japonais, Américain, Anglo-Saxon, Européen…
WT : Justement, le fait que Japan Expo et Comic Con’ ne soient pas « étanches », c’est quelque chose qui s’est imposé naturellement ?
TS : Il y a énormément de passerelles entre les deux en fait. On prend Kill Bill, on prend Matrix, tout ça c’est du melting pot (rires, vu que le cocktail se déroule au Melting pot ;)), c’est à la croisée des chemins, c’est inspiré par le Japon, c’est inspiré par les comics, les univers fantastiques, la franco-belge…Tout existe pour une seule et même chose qu’on appelle aux Etats Unis le fandom, le pays des fans. Chez nous, de manière très abusive en général dans les journaux on parle de la culture geek, avec ce sens très particulier. En fait on a demandé aux gens « Voilà, et si on fait les deux en même temps est-ce que ça vous choque ? », parce qu’on s’est dit qu’on allait faire fuir les gens de la partie Japan Expo à cause de la partie Comic Con’, ou que les gens de la partie Comic Con’ ne voudront jamais venir dans la partie Japan Expo. Et en fait on s’aperçoit que dans la très large majorité (de l’ordre de 95%) les gens sont contents de pouvoir découvrir de nouvelles choses, parce qu’on ne les connaît pas forcément mais du coup vu que c’est disponible une fois qu’on a fait un tour dans ce qu’on aime bien, si c’est pas loin c’est qu’il y a des connexions qui se créent donc on va pouvoir découvrir des contenus autres. Et les 5% qui restent, c’est les un peu plus « ultra », mais on a la chance aujourd’hui d’avoir atteint un volume et une surface suffisants pour qu’un « ultra Japon » puisse ne jamais voir un Stormtrooper dans le salon si ça le chante. Et on a la même chose côté Comic Con’ où on peut vivre uniquement sa passion de séries télé ou de comics sans entendre parler de manga.
WT : Quelles ont été les difficultés pour mettre en place Comic Con’? Quels sont les obstacles que vous avez pu rencontrer ?
JFD : Comic Con’
TS : Oui Comic Con’ San Diego.
JFD : Comic Con’ San Diego c’est un obstacle dans le sens où effectivement on est un mois avant lui et souvent les gens nous disent « C’est super, on va faire un truc, etc… » et un mois après ils viennent nous voir en disant « Oui en fait on a vérifié et on doit garder l’avant-première pour le Comic Con’ San Diego donc on fera rien chez vous cette année ». Et puis l’année d’après c’est plus d’actualité donc ils font rien non plus. Donc c’est un peu compliqué. Les obstacles, ça a été aussi de rentrer en contact avec les producteurs. Une fois qu’on est entrés en contact avec les producteurs on s’est aperçus que sur le marché Américain ils gèrent eux-même la promotion de leurs séries mais après quand ils ont vendu à des diffuseurs en France ils attendent que ce soit le diffuseur qui fasse le boulot. Donc l’étape d’après ça a été : maintenant qu’on est en contact avec les producteurs, il faut qu’on rentre en contact avec les diffuseurs et qu’on les convainque de bouger. Il y a des chaînes qui sont plus faciles à bouger que d’autres mais c’est vrai que ça a été un travail important et c’est pour ça qu’on a fait appel à des spécialistes dans ce domaine-là pour essayer d’accélérer un petit peu le rythme parce que ce qu’on a fait en dix ans de Japan Expo on ne voudrait pas le faire à la même vitesse. On voudrait aller un petit peu plus vite pour profiter justement de la population qu’a Japan Expo pour que Comic Con se développe plus vite parce que justement la marque Cultima était un peu écrasée par Japan Expo mais là Comic Con’ est suffisamment parlant pour que la marque vive sans être entachée par Japan Expo.
TS : Il y a un autre obstacle qu’on a dû surseoir, c’est le simple nom Comic Con’. Quand on l’a pris, les gens se sont attendus à quelque chose et du coup il a fallu les convaincre qu’on était capables de leur fournir les contenus qui allaient leur plaire et qui correspondaient à ce sur quoi ils fantasmaient quand ils se disaient « Tiens Comic Con’ San Diego, Comic Con’ New York… ». Et ça été un gros travail pour nous de convaincre les gens qu’on était capables de le faire, sans compter tous les gens qui disaient « Oui mais vous faites des trucs sur le Japon vous, qu’est ce que vous venez faire là-dedans ? ».
WT : Toujours les fameux « ultra » ?
TS : Oui mais ils font beaucoup de bruit (rires). Mais malgré tout, si on faisait le solde à la fin, d’avoir développé Comic Con’ a été plus bénéfique pour nous par rapport à ce qu’on voulait faire en terme éditorial sur l’événement, parce que nous a ouvert un nombre de portes incroyable. (en montrant JFD) Il parlait des producteurs, maintenant ils nous tendent l’oreille là où avant quand on disait Cultima ils nous regardaient sans plus.
WT : Concernant l’univers purement comics, est-ce que vous avez des interactions avec les diffuseurs Français comme Panini Comics ou Delcourt, au-delà de leurs stands ?
JFD : On essaye de les convaincre chaque année de faire venir des auteurs, de faire des animations, etc…mais du coup comme on a commencé à le faire par nous mêmes ils trouvent que c’est pas mal qu’on le fasse (et ça coûte aussi moins cher pour eux). Mais c’est vrai qu’on a essayé d’être beaucoup plus en synergie avec eux sur tout ça, on a essayé de monter des opérations qui n’ont pas abouti cette année mais on espère que l’année prochaine on va pouvoir faire des choses. Mais c’est vrai que ce soit chez Delcourt, Panini ou autre on est beaucoup plus écoutés depuis qu’on a Comic Con’ et depuis qu’on a eu un certain nombre d’invités. On a eu du beau monde l’année dernière, là avec Jeff Scott Campbell ça met encore un coup de projecteur supplémentaire.
TS : Il y a Ankama aussi, on a démarré une collaboration avec eux pour faire venir Rufus Dayglo. C’est le démarrage en fait, une fois qu’il y a un qui commence, on espère fortement que ça inspirera les autres et qu’ils diront « Ben tiens, pourquoi pas nous ».
JFD : On s’est aperçus d’un truc hyper bête en plus : autant dans le manga c’est devenu un enjeu donc du coup il y a des départements spécialisés dans le marketing, la promotion, etc…alors que dans le comics ils en font mais c’est un peu moins existant. Quand on veut lancer des opérations de promotion c’est beaucoup plus difficile de trouver un interlocuteur, qui est là à s’occuper d’autre chose…Alors que pour le manga c’est devenu un marché tellement important qu’ils ont des interlocuteurs spéciaux pour nous.
TS : L’année dernière on avait eu une collaboration avec Warner pour les 75 ans de DC, puisqu’on avait coproduit l’exposition, cette année on a Ankama, peu à peu on gagne en importance et du coup en possibilité de collaboration avec les éditeurs parce qu’on parlait de convaincre le public mais nous il faut aussi qu’on convainque les éditeurs de bosser avec nous, que ça va leur rapporter, que ça va mettre leurs licences en valeur et ainsi de suite. On a été les solliciter, on les sollicite aussi sur des projets, ce sont des choses qui vont se mettre en place dans le temps. C’est à dire que là ils ont commencé à se dire « Tiens y’a Comic Con’, ça peut valoir le coup ». Le temps qu’on se parle, c’était trop près de l’événement de cette année donc ça s’amplifiera grandement je pense l’année prochaine. On attend que ça de pouvoir travailler sérieusement avec les éditeurs de comics en France pour le mettre en valeur parce que simplement nous avec nos petits bras on fait venir beaucoup d’auteurs mais à un moment donné on va être limités si on veut encore s’étendre. Parce que des lineup avec Mc Niven et Campbell tous les ans ça va être chaud ! (rires)
WT : C’est clair que l’affiche a fait saliver pas mal de monde !
TS : On a voulu montrer aussi qu’il y avait un vrai intérêt pour les gens, parce que souvent on entend dire « Oui mais ce qui est intéressant c’est les licences », c’est à dire X-Men,Spiderman, Iron Man…et nous on dit « Non, les artistes en eux-mêmes symbolisent quelque chose de fort pour les fans », ne serait-ce que parce que nous sommes sensibles au nom de l’artiste. C’est vrai que c’est pas toujours facile. Par exemple avec des grandes boites comme Warner, passer de la licence à l’auteur, c’est une gymnastique intellectuelle assez complexe, même si Warner se bouge étonnamment beaucoup. Ils font partie des plus dynamiques, les premiers à se dire « C’est super, il faut qu’on fasse quelque chose ». On espère que dans les années à venir on aura des lineup qui seront super sympa et qui seront associés aux éditeurs Français de comics.
WT : Lors de la conférence de presse, vous avez parlé de déclinaisons locales de Japan Expo, est ce que la même chose pourrait être envisagée pour Comic Con’ ?
TS : On a attendu de développer Japan Expo pendant neuf ans avant de se dire « Tiens on pourrait la faire autre part ». On va d’abord bien asseoir l’événement, bien lui finaliser sa structure et après on verra. Mais tout est imaginable. Comme on dit aux Etats Unis : « The sky’s the limit ». Japan Expo dans le sud, on l’a fait parce qu’il y a eu énormément de demande des fans qui nous disaient « Pourquoi vous ne faites ça qu’à Paris ? ». Donc il y a eu toute une démarche, un cheminement qui nous a amenés à le faire. Si on se retrouve dans des configurations équivalentes Sur Comic Con’…
JFD : Et puis on s’est aperçus aussi, une fois qu’on a été à Marseille, qu’il y avait quand même 75% des gens qui venaient à Japan Expo à Marseille qui n’étaient jamais allés et ne prévoyaient pas d’aller à Japan Expo à Paris. En plus c’était vraiment satisfaire un public différent qui était friand de ce genre de contenus et qui n’avait rien dans sa région. Donc si en développant Comic Con’ on commence à avoir le même genre d’échos, on le fera. Mais après on fait toujours les choses à notre rythme parce que quand on veut aller trop vite ce n’est jamais très bon non plus. Il faut stabiliser les choses, s’assurer que l’organisation se passe bien parce que dans un salon il y a toute la programmation qui est difficile à avoir mais une fois qu’on a eu un super programme il faut que le visiteur ait une super expérience donc c’est aussi des gestions de files d’attente, de gestions de salles (savoir comment on les organise), etc…Et ça, ça demande énormément de temps et de boulot au final pour que l’expérience soit bonne parce qu’il y les gens et parce que ça se passe bien. On a vu nous des salons où il y avait des super invités mais l’organisation était tellement mauvaise que tu n’avais pas envie de revenir. Donc c’est vrai qu’on fait toujours attention à faire avancer toutes les choses à la fois. Sur Japan Expo on a accueilli des grands noms comme le créateur de Goldorak, on attendu d’être sûrs de pouvoir l’accueillir dans de bonnes conditions pour que le public en profite.
TS : Je pense qu’on doit d’abord être sûrs qu’on organise Comic Con’ bien avant de se dire qu’il faut le faire autre part, il s’agit de faire attention. Il n’y aurait rien de pire pour nous de faire un truc insatisfaisant, à la fois pour nous et pour le public. De voir les gens qui sortent en faisant la gueule, c’est un crève-cœur ! Donc on prendra notre temps.
JFD : 95% des gens qui sont venus sur Japan Expo ou Comic Con’ l’année dernière étaient satisfaits ou très satisfaits, et c’est ces gens-là qui après nous ramènent leurs copains parce qu’ils se sont amusés et c’est comme ça que le festival s’est développé pendant des années, par le bouche à oreille. On veut conserver cette bonne qualité d’expérience pour que les gens soient notre meilleure publicité, car les gens qui sont venus une fois vendent très bien l’idée d’y retourner. Et ça c’est super.
WT : J’avoue que l’année dernière je me suis éclaté comme un malade !
TS : Merci !
WT : J’avais des yeux comme ça quand je suis ressorti, des étoiles plein les yeux…
TS : C’est exactement ce qu’on cherche à faire, donc c’est cool.
WT : Une dernière question concernant le programme : comment le composez-vous chaque année ? En suivant l’actualité ou êtes-vous sollicités ?
JFD : Il y a une touche d’actualité, une touche de sollicitation, une touche d’éditorial de nous, on se dit « Tiens on a moyen de faire quelque chose. ». L’année dernière on avait fait deux-trois trucs sur Doctor Who et on s’est dit « C’est quand même vachement bien Doctor Who, ce serait bien de faire plus ». C’est pour ça que cette année on a beaucoup plus de Doctor Who, que Steven Moffat vient, etc…Donc on essaie un petit peu justement d’être à l’écoute de nos partenaires pour que s’ils ont une actualité à promouvoir on puisse faire quelque chose ensemble, de nos envie…C’est vraiment un peu de tout.
TS : Quand on a créé Japan Expo et Comic Con, on l’a créé parce qu’on avait envie de partager des choses qu’on aimait bien avec les gens. Du coup ce qu’on a fait c’est aussi bien les gens qui sont venus vers nous que nous qui sommes allé chercher les gens. C’est vrai que du coup ça donne une programmation qui peut peut être paraître surprenante à certains égards parfois et qui est assez représentative de ce qu’on veut représenter.
WT : En fait on trouve tous notre compte.
JFD : C’est un peu l’idée, c’est à dire qu’effectivement y’a des gens parfois qui se plaignent en disant « Mais pourquoi vous faites ça ça et ça, ça n’a pas d’intérêt, ça n’a rien à voir avec machin… ». Ca en intéresse certains, et puis si certains ne sont pas intéressés par tel programme ils le sont par autre chose et de toutes façons quand il y a trop de trucs intéressants les gens se plaignent aussi en disant « Oh la la mais comment qu’on soit là et là en même temps c’est pas possible ». Donc on essaie d’être le plus variés possible, pour que tout le monde y trouve son compte et que vraiment l’expérience soit agréable pour tout le monde.
WT : Pour le mot de la fin, souhaitez-vous dire quelque chose pour les lecteurs de Watchtower Comics ?
TS : Venez voir Comic Con’ Paris ! (rires)
JFD : Venez voir Comic Con’ Paris ! (rires) Disons que je pense que c’est un truc qu’il faut essayer une fois. Après on leur demande pas de venir tous les ans mais c’est vrai que généralement quand ils viennent les gens se disent « Ah c’est pas du tout comme je le pensais, en fait c’est super sympa, il y a plein de trucs à faire, plein de trucs à voir… ». C’est vrai que s’il veulent venir découvrir Comic Con’ pour la première fois il ne faut pas hésiter.
TS : On mord pas !
JFD : On mord pas, très bonne ambiance et un petit côté communautaire très très sympa.
WT : Parfait, je vous remercie beaucoup messieurs pour cet entretien.
JFD : Merci à vous !
Un grand merci à M. Dufour et M. Sirdey pour cet entretien passionnant, ainsi qu’à Christelle et Emilie pour leur accueil impeccable, leur disponibilité et leur gentillesse.
Une pensée sur “Jean-François Dufour et Thomas Sirdey nous parlent de Comic Con’”